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5 juin 2015

Crocs de Patrick K. Dewdney... Par Bruno

crocs pochette du livre



CROCS  de Patrick K. Dewdney

La Manufacture des Livres
Collection Territori . 5 juin 2015
179 pages.

Il emprunte la glaise des sous-bois et la fange des tourbières. A l'heure qu'il est, on est probablement à ses trousses. Sa course vient parfois frôler la balafre humaine : les villages endormis, l'asphalte visqueux des routes. Le cabot l'escorte. La pioche meurtrit son épaule. Comme il n'a aucun autre compagnon, c'est à eux qui murmure le Plateau, les hommes qui traquent et qui déchirent, les trajectoires perdues et les mémoires effacées. Quelque part à l'issue du chemin, il y a le Lac, Le Lac et le vacarme du Mur. Qui attend.



La critique avait salué (encensé) Clouer l’Ouest de Séverine Chevalier. Cette dernière d’ailleurs inaugure la nouvelle alliance La Manufacture des  Livres – Editions Ecorce qui se nomme Territori, en compagnie d’Antonin Varenne (Battues) et de Patrick K. Dewdney.

C’est de ce dernier  dont je vais développer. Ce jeune trublion qui pourrait bien faire jazzer dans les pubs ou autres salons du « small world » bien propret de la littérature française (çà c’est dit !) tant son écriture est riche et étonnement étoffée.

On ne sait finalement pas grand-chose de cet homme à l’équilibre chancelant, errant parmi les chemins de traverses des forêts limousines. La quarantaine, barbe hirsute, vêtements et baskets miséreux, ne quittant jamais son cabot et sa pioche. Voici donc les piètres éléments qui composent son portrait. L’essentiel est ailleurs. Notamment dans la beauté de ce texte imprégné de cette nature tantôt rebelle, tantôt dominée et bafouée, tantôt magnifiée. Les ciels bleu azuréen peuvent vite s’effacer au profit de tumulus expirant la mort des Anciens. Le devenu ermite en errance n’a plus de repères dans cette civilisation qu’il n’a que trop bien connu. Urbanisme ambiant, amour passionnel et enfants à la clef.  Incommensurable. - La pioche -.

 Cette errance  démontre une certaine condition humaine malsaine et envahissante. L’atmosphère est pesante dans les environs du Plateau. L’homme fuit l’Homme dans les chemins sinueux des forêts aux alentours avec pour but d’atteindre le Mur.  Serait-il traqué ou bien a-t-il entrepris de se défausser de ses pairs, ces hommes souillant végétation et sols de leurs odieux objets de plastique et de leurs putrides immondices ? Dans l’hypothèse d’un des deux cas, pourquoi et pour quelle raison ?  - La pioche -.

La faim tenaille l’estomac, le corps et l’esprit se fragilisent davantage. La marche devient interminable  et pénible à proximité des massifs et conifères du Limousin. La soif aussi, les rus se font aussi rares que les forces de l’errant. Le cabot suit comme son ombre le solitaire à l’âme ruinée, déchirée à jamais. –La pioche - .

Manger coûte que coûte pour aller au but. Au Mur. Même un chien ferait l’affaire. 

La pioche se fait lourde.

Arpenter, toujours et encore, de plus en plus douloureusement sous le regard malveillant des Lémovices ayant eux même creusé des sillons, parcouru et fécondé cette terre des siècles au préalable. Quand les hommes avaient du respect, des valeurs, où la course au modernisme et l’individualisme n’existaient guère.  Arpenter et fuir cet esprit.

Quelques vivres de circonstances proches de la  cannibalisation permettront de prendre quelques forces, d’approcher de loin quelques habitations, d’emprunter des chemins plus conventionnels et de rejoindre enfin la destination finale la pioche toujours en main.  L’esprit n’est pas empreint de réminiscences mais de souvenirs insoutenables. Le Mur est là. Il faut le franchir.

La pioche est trop lourde à porter.

J’ai découvert cet auteur à l’écriture riche et compte bien suivre désormais son travail. Ce livre foisonnant de détails sur l’espèce végétale mais aussi  par réverbération sur l’âme humaine et le comportement des acteurs de notre société.  Le désenclavement forcé de cet errant est savamment décortiqué sans aucune note d’optimisme (et pour cause !).

 Ce roman est un coup qui porte au cœur.

Ce roman est un coup de cœur d’une beauté déconcertante.

Ce roman est une poésie noire dénuée de rimes.

Bonne lecture.

Bruno.

 

pk dewd photo

 

Extrait :

 « J’abandonne derrière moi les hauteurs, un panorama caché par l’obscurité, et balayé par la tiédeur des bourrasques. La fatigue de la digestion peuple la nuit environnante de fantômes éthérés. Je me demande ce que les Anciens ont bien pu faire de ces rochers noirs entre lesquels je descends. Quels contes fantastiques ont dû dire l’histoire de leur naissance. Quels héros oubliés en ont fait le décor de leurs exploits. Et combien d’âmes, combien d’âmes les druides y ont offertes aux esprits du ciel et de la terre. Oui, en cette nuit chaude et sensuelle, c’est la question du sang qui reflue le plus souvent. Ce sont ces comptes là qui nourrissent les pulsations aléatoires du cabot. Les crânes broyés et les artères frissonnantes. Les ruisseaux d’hémoglobine qui ont dû éclabousser ces pierres. Et je m’interroge encore. S’agissait-il d’une sagesse violente ? Une manière barbare, mais juste, de maintenir l’équilibre ? Ou un simple reflet de cette condition terrible qui semble affliger l’humanité entière ? Cette maladie de mort que l’on répand et dont on se repaît, depuis toujours. »

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