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24 mai 2015

Julius Winsome de Gérard Donovan

juliuswinsome






JULIUS WINSOME de Gerard DONOVAN
Editions Points N° 2359 (Mars 2010)
247 pages

Julius Winsome vit seul avec son chien, Hobbes, au fin fond du Maine le plus sauvage. Eduqué dans le refus de la violence et l’amour des mots, ce doux quinquagénaire ne chasse pas, contrairement aux hommes virils de la région. Il se contente de chérir les milliers de livres qui tapissent son chalet. La vision de Hobbes ensanglanté et mourant le changera en tueur fou…








Avec un peu d’expérience et de connaissances dans ce petit monde du polar, notamment sur la Toile, il revenait souvent ce Julius Winsome dans des conversations ou des commentaires plutôt avenants. Je confirme après lecture que c’était à juste titre. Allons voir  donc un peu de plus près qui est ce personnage si atypique.

Julius Winsome 51 ans. 51 ans de chalet également. Celui qu’avait bâti son grand-père au retour de sa participation à la 1ère guerre mondiale. Edifié en lisière de forêt septentrionale, isolé du village le plus possible, son père en héritera à son tour maintenant le lieu en état. A ce jour, le pater n’est plus de ce monde tout comme la femme de Julius.
Veuf, il décide de poursuivre sa vie en solo. Enfin pas tout à fait seul, il y a le docile Hobbes, fidèle compagnon à quatre pattes et Alexandrie. Cette dernière n’étant pas le sobriquet d’un quelconque spécimen de la race animale mais de 3282 ouvrages de l’imposante bibliothèque paternelle qui comblent les longs rayonnages des murs du chalet. Egalement un poêle à bois indispensable pour subvenir aux rudesses hivernales du Maine contribue à l’aménagement du lieu.

Jusque là tout allait bien et Julius n’en demandait pas plus à sa vie paisible.

C’est au seuil de l’hiver que tout chavire. Son amour de chien, Hobbes est retrouvé agonisant. Le vétérinaire ne pourra que constater les dégâts et donner son verdict : Le chien a été abattu à bout pourtant.

Rongé à la fois par la vengeance et le chagrin il est bien décidé à ne pas en rester là.  Il dénichera le vieux fusil du grand-père, véritable arme de précision rangée depuis des lustres. Julius n’ayant jamais vraiment utilisé d’arme à feu de sa vie, se contentera des judicieux conseils que grand-papa lui avaient prodigué lors de ses récits de guerre. La lunette du fusil fera le reste du travail. La transformation du solitaire shakespearien et cultivé en expert de techniques de tir est impressionnante.

Winsome prendra son temps et, durant ce laps, sa  folie et son obsession seront grandissants. Il est sans cesse rattrapé par ses psychoses traumatiques*  Hobbes le hante, Hobbes est sous terre pourtant il est partout…dans les airs, dans la forêt. Winsome punira l’assassin.

Qui est l’assassin ? Qui  écrit sur ses avis de recherche ? Julius a du pain sur la planche…

Gérard Donovan, pour son premier roman traduit en France, réussit un véritable  tour de maître. Ce livre est un joyau noir.

Ecrit à la première personne, il nous emmène d’autant plus dans la peau et la folie de son personnage de façon à l’apprivoiser voire d’engendrer une forme de compassion (pourtant malsaine). Le texte est remarquablement pensé mêlant l’univers du lieu aux écarts psychologiques de l’individu.
Ce n’est pas vraiment un polar écologique, car l’auteur prend soin de ne pas porter de point de vue et reste dans du descriptif.

Ce roman m’a fait penser à un autre petit bijou qui m’avait marqué à l’époque : Le Sukkwan Island de David  Vann. On y retrouve 3 thèmes : la nature, l’isolement et la folie progressive du personnage central.
L’auteur aime les livres et  les mots à un point qu’il intègre à son personnage la faculté d’utiliser des mots inusités de Shakespeare qu’il avait recopiés et appris lors de sa prime jeunesse sous la houlette de son père. Avant et pendant  ses pérégrinations meurtrières Winsome ressort ses mots.
Le sens du détail n’est donc point épargné tout comme les précisions des méthodes de tir du sniper.**

Donovan mérite crédit auprès des spécialistes du genre.

Bonne lecture.

Bruno

maine

  • * A savoir que le grand-père de Julius a eu en fin de vie des psychoses rattrapant son passé liés aux actes durant la guerre 1914-18.
  • ** L’auteur  s’est beaucoup documenté sur les snipers et leurs origines remontant justement à la Grande Guerre et remercie qui de droit dans son postface.

Extraits :

« Le Maine, étoile blanche qui scintille à partir de novembre et domine un coin de ciel glacial. Seules les phrases courtes et les longues pensées peuvent survivre en ce lieu. Si vous n’êtes pas septentrional des pieds à la tête et habituer à passer de longs moments tout seul, ne vous aventurez plus alors dans cette contrée. Les distances s’effondrent, le temps vole en éclats. Les enfants inscrivent leur nom en patinant sur les lacs, des luges tirent des chiens devant elles. On combat l’hiver en lisant toute la nuit, tournant les pages cent fois plus vite que tournent les aiguilles, de petites roues en actionnant une plus grande tous ces mois. Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé, vos phrases se replient en un seul mot, le temps suspend son vol, midi ou minuit c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Chaque coup d’œil rencontre de la neige. Chaque pas s’enfonce vers le nord. Voilà l’heure du Maine, l’heure blanche. »

« Mon père disait que son père portait tant de guerres sur sa poitrine que c'était un miracle qu'il ait pu se tenir droit : médailles gagnées durant la guerre des Boers, la Première Guerre mondiale, ainsi qu'au cours de petites guerres dont on n'entend plus du tout parler. Escarmouches dans la brousse, par exemple, des vingtaines, voire des centaines de morts.(...)

La Première Guerre mondiale, la bataille de la Somme, la morne terre agricole française où sont tombés un million d'hommes. A ton avis, Julius, combien de personnes gardent le moindre souvenir de cet épisode?
Pas grand-monde, peut-être personne, ai-je répondu.
Mon père a pris sur l'étagère un coffret couvert de velours bleu foncé et l'a ouvert. Voilà donc les médailles.
J'ai gardé les médailles de mon grand-père dans le coffret de velours.
On ne jette pas un million d'hommes comme cela. »

«La nuit m'a durci comme un bâton et m'a brandi contre le monde. J'étais un bâton menaçant l'univers. J'ai regardé ma main qui agrippait la crosse. J'étais le fusil. J'étais la balle, la cible, la signification d'un mot qui se dresse tout seul. Voilà le sens du mot "vengeance", même lorsqu'on le couche sur le papier. » 

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