Si je pense à mon adolescence, je me souviens de coups de téléphone anonymes et de visiteurs qui passent discrètement dans notre maison, venus du bout du monde ou dépêchés par les renseignements généraux. Je me souviens d'une bombe qui explose devant notre garage ou de ma mère qui parle souvent de "menaces de mort".
Je savais alors que mon père publiait des livres dérangeants -pour certains serviteurs de l'Etat, des affairistes, ou des intermédiaires de l'ombre. Adulte, j'appris qu'un contrat avait été passé sur sa tête. Pourtant, trente ans après, il était toujours là, bien vivant. Plus déroutant encore : il était devenu ami avec celui qui avait été payé pour le supprimer.
Devenu à mon tour écrivain, il m'a semblé que cette relation hors-norme ne pouvait échapper à une "enquête" romanesque.
Elle me mena jusqu'en Afrique, lieu des premières investigations de mon père, de sa rencontre avec ma mère, et où vivait désormais son étrange ami. Dans la démesure de ce continent des origines m'attendait le plus troublant rendez-vous de ma vie d'homme et de romancier.

Je vous propose de continuer de m'accompagner dans la découverte de cette rentrée littéraire puisque ce livre était dans la sélection merveilleusement envoyée par Entrée Livre.

Je n'avais encore jamais lu Jean Grégor, c'est donc avec beaucoup de curiosité que j'ai ouvert ce roman. D'autant que le résumé était plus que tentant.

Dans cette histoire écrite à la première personne, nous faisons la connaissance d'un homme, devenu adulte et écrivain, qui décide d'écrire la biographie de son père.
S'il choisit ce sujet, ce n'est pas seulement pour rendre hommage à celui qui lui a donné la vie, c'est aussi, et surtout, parce que Cet Homme, écrivain lui-même, a bien souvent créé la polémique.
Cet Homme, le père, a souvent été chatouillé les pieds des Hauts de l'Etat français, a enquêté sur les relations entre la France et l'Afrique (surtout le Gabon, d'ailleurs) au point de se créer de très fortes inimitiés.
Il finira d'ailleurs par apprendre qu'un tueur est à ses trousses, que sa vie est en danger. Des pressions sont faites sur sa famille, et pourtant, jamais il n'a plié.
Cet Homme, le père, ira au bout de ses convictions politiques au point de rencontrer celui qui avait été commandité pour le tuer. Il s'en fera un ami.

Jean Grégor a choisi d'écrire ce roman à la première personne, si bien que je me suis demandée tout au long de ma lecture quelle est la part d'autobiographie et quelle est la part de fiction.
L'écriture est simple, touchante et révèle pas à pas les sentiments de ce fils vis à vis de ce père hors norme qui force l'admiration. En découvrant l'histoire de Péan, le narrateur redécouvre sa propre histoire avec des yeux d'adulte (et d'enquêteur), ce qui donne un tout autre éclairage à la vie de sa famille et le fait s'interroger sur sa propre existence :

"Quelle était la part de sauvagerie refoulée en moi ?
Ne dois-je pas être plus exact et parler d'une ombre en soi, mouvante, mais qui jamais ne disparaît ?"

J'ai particulièrement aimé ce roman, et pourtant, mon peu de connaissances des relations Franco-Gabonaises m'a quelquefois un peu gênée pour comprendre pourquoi ce père était si dérangeant.
Et pourtant, il y a bien des noms qui me parlaient vaguement : Bob Denard, Guy Penne, Mobutu, Bongo, l'affaire des avions renifleurs de Giscard d'Estaing... Après avoir tourné la dernière page, j'ai donc révisé quelque peu cette partie de notre histoire politique.

Un livre plein de découvertes donc, mais aussi de re-découvertes, notamment avec cette chanson de Serge Gainsbourg que j'avais complètement oubliée :

L'ombre en soi de Jean Grégor

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