latrilogieberlinoise

Publiés pour la première fois entre 1989 et 1991, L'Eté de cristal, La Pâle Figure et Un requiem allemand ont pour toile de fond le IIIe Reich à son apogée et, après la défaite, l'Allemagne en ruine de 1947. Bernie Gunther, ex-commissaire de la police berlinoise, est devenu détective privé. Désabusé et courageux, perspicace et insolent, Bernie est à l'Allemagne nazie ce que Philip Marlowe est à la Californie de la fin des années 1930 : un homme solitaire, témoin de son époque.
Des rues de Berlin "nettoyées" pour offrir une image idyllique aux visiteurs des Jeux olympiques à celles de Vienne la corrompue, Bernie enquête au milieu d'actrices et de prostituées, de psychiatres et de banquiers, de producteurs de cinéma et de publicitaires. La différence avec un film noir d'Hollywood, c'est que les principaux protagonistes s'appellent Heydrich, Himmler et Goering....

Il s'agit en fait de 3 livres : L'été de cristal, La pâle figure, Un requiem allemand qui ont été condensés judicieusement par Le Livre de Poche. Ces trois opus nous emmènent vers trois enquêtes aux intrigues finement pensée et élaborées par l'auteur, mais ce qu'il faut en retenir c'est la toile de fond et ses strates qui en font un témoignage sensationnel sur le Berlin d’avant, pendant et après guerre...

Bernie Gunther, ex commissaire de Police devenu détective privé enquête sur la fille d'un riche et influent magnat, mais également sur le mari de celle ci. Ce dernier, Hauptsturmführer de son état a été retrouvé calciné avec sa femme dans leur lit nuptial. Le début de l'enquête démontrera que les deux corps ont été abattus au préalable à bout portant par un vieux Mauser 7.65 dont le chargeur de huit balles a été équitablement réparti sur le susdit couple.

Chers lecteurs vous penserez donc bien qu'à ce moment la cause accidentelle est à bannir !

Nous sommes à Berlin en 1936 durant la montée du Nazisme et en chef d'orchestre accompli le Dr Goebbels prône sa bonne parole et endoctrine à tout va. La forte propension du salut des allemands depuis toujours n'est plus à prouver et ici les bras levés vont bon train. Le Docteur en question, alors ministre de la propagande mais aussi de l'Illumination du Peuple est là pour inculquer une vision de la nouvelle Allemagne avec des formules bien tournées en n’oubliant, évidemment pas, de glorifier le Führer.

Philipp Kerr sait à travers ses personnages leur donner son propre avis, comme l’assistante de Gunther par exemple à propos des Jeux Olympiques de Berlin qui déclame " la plus scandaleuse supercherie de l'histoire moderne !" ou encore Bernie Gunther à travers ses pensées dans les gradins du Stadium de Berlin dans ce magnifique extrait :

"Elle avait eu tort, pensais-je de décrire Owens comme une gazelle. A voir quelle grâce le Noir accélérait peu à peu sa course, ridiculisant du même coup toutes les théories foireuses sur la supériorité aryenne, je me dis qu'Owens n'était rien d'autre qu'un homme ! Courir de la sorte donnait un sens à l'humanité entière, et si une race supérieure devait exister, elle ne pourrait certainement pas exclure de ses rangs un individu comme Owens. "

On sent également que la Seconde Guerre Mondiale se prépare et qu'elle se montre inévitable. Kerr a su ingénieusement insérer les principaux responsables du IIIème Reich dans ces lignes tout en les mêlant à l'intrigue. (Heydrich, Himmler, Goering). On peut parler de prouesse dans ce cas. Car la tâche n'était pas facile et nombre d'historiens ont félicité l'auteur pour son travail d'orfèvre dans les descriptions, les lieux et les situations évoquées tout au long de cette trilogie, de Berlin à Vienne en passant par Dachau. Pas la peine de souligner le travail de titan, des recherches entreprises pour arriver à ce résultat. Et le comble du comble c'est que l'auteur est Ecossais !

Ce pavé est impressionnant aussi bien par son intrigue que par son côté historique. Bernie Gunther est bien plus qu'un détective, mais un témoin. Un témoin de cette histoire et des tristes méthodes mises en place par ce régime, qu'on ne voudrait plus jamais revoir.

Ce livre est un indispensable pour ceux qui aiment le polar et ceux qui voudraient s'intéresser à un pan de l'histoire....de la construction de cette seconde guerre 1936-1938 (1er et second tome) à son déclin 1947 (3ème tome).

N'étant pas rancunier je n'en voudrais donc nullement à ces sonneurs de cloches qui m'avaient dit tant de bien de cette trilogie. Quant à vous chers lecteurs de CCBDL .... À vous de voir ! Euh ! De lire...

Bonne lecture.

Bruno.

Extraits :

"Derrière l’immeuble où était situé mon bureau, se trouvait l’Alex, le quartier général de la police… qui considère aujourd’hui comme criminel le fait de parler irrespectueusement du Führer, coller sur la vitrine de votre boucher une affiche le traitant de «vendu», omettre de pratiquer le salut hitlérien ou se livrer à l’homosexualité. Voilà ce qu’était devenu Berlin sous le gouvernement national-socialiste: une vaste demeure hantée pleine de recoins sombres, d’escaliers obscurs, de caves sinistres… où s’agitaient des fantômes déchaînés qui jetaient les livres contre les murs, cognaient aux portes, brisaient des vitres et hululaient dans la nuit, terrorisant les occupants au point qu’ils avaient parfois envie de tout vendre et de partir."

[...] Dans beaucoup de quartiers, un plan des rues n'était guère plus utile qu'une éponge de laveur de carreaux. Les artères principales zigzaguaient comme des rivières au milieu de monceaux de décombres. Des sentiers escaladaient d'instables et traîtresses montagnes de gravats d'où, l'été, s'élevait une puanteur indiquant sans erreur possible qu'il n'y avait pas que du mobilier et des briques ensevelis dessous.
Les boussoles étaient introuvables, il fallait beaucoup de patience pour s'orienter dans ces fantômes de rues le long desquelles ne subsistaient, comme un décor abandonné, que des façades de boutiques et d'hôtels : il fallait également une bonne mémoire pour se souvenir des immeubles dont ne restaient que des caves humides où des gens s'abritaient encore.

[...] Je commençai par aller voir au X Bar, un club de jazz illégal dont l'orchestre glissait des morceaux américains au beau milieu de la soupe aryenne ayant l'aval des autorités. Les musiciens se livraient à ces acrobaties avec suffisamment de finesse pour ménager les consciences nazies qu'aurait pu choquer cette musique dite inférieure.

Berlin j’adorais cette ville autrefois, avant qu’elle ne tombe amoureuse de son propre reflet et se mette à porter les corsets rigides qui l’étouffaient peu à peu. J’aimais la philosophie bon enfant, le mauvais jazz, les cabarets vulgaires et tous les excès culturels de la République de Weimar qui avait fait de Berlin l’une des villes les plus fascinantes de l’époque."

La trilogie berlinoise de Philip Kerr

Partager cet article