cry father picture (2)

CRY FATHER de Benjamin WHITMER
Editions Gallmeister
Collection Neonoir N° 3
Sortie Mai 2015

Depuis qu'il a perdu son fils, Patterson Wells parcourt les zones sinistrées de l'Amérique. Le reste du temps, il se réfugie dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente d'oublier le poids des souvenirs ou la bagarre de la veille dans un bar. Mais ses rêves de sérénité vont se volatiliser lorsqu'il fera la rencontre du fils de son meilleur ami, Junior, un dealer avec un penchant certain pour la bagarre.
Les deux hommes vont se prendre d'amitié l'un pour l'autre et être peu à peu entraînés dans une spirale de violence

L’avantage lorsque l’on fait un long trajet en voiture, que l’on ne conduit pas et qu’on a la capacité à pouvoir lire dans l’habitacle, c’est qu’on peut avaler les pages autant que le conducteur avale les kilomètres. Direction donc la Bourgogne dans un sens et les contrées de Denver dans l’autre.
Le « fameux » Cry Father m’attend…Allons rencontrer cet élagueur pas comme les autres.

Patterson Wells est un homme dépité, sans aucune espérance positive depuis le décès de son fils après une erreur médicale. L’homme taciturne engloutit tant les whiskies que les miles dans son camion nacelle accompagné de son bâtard quadripède, Sancho.
Quand Patterson n’élague pas les nombreux arbres qui encombrent les lignes électriques du pays, il prend la pause de manière solitaire dans sa cabane sur les hauteurs de la Mesa du côté de Téos. Un peu plus bas dans la vallée, fortuitement il noue le contact avec Junior, le fils d’un vieil ami éleveur de mustangs sauvages. Henry.

Junior est une brute épaisse dans un corps puissant, un passeur et un consommateur de méthamphétamine, un type sans lois ni règles, au bandeau vissé autour de sa tête pour protéger un œil suintant autant le lacrymal que la méchanceté.

Lors de la descente vers El Paso en compagnie de Junior, Patterson y laissera des plumes. Son corps et son âme respirent l’abîme, la destruction, le non-être. Laney, son ex femme, et la Nicodin seront encore là en bons salvateurs pour sa carcasse devenant vieillissante. Il puise trop dans le whisky et la cocaïne pour subvenir à ses actes empreints d’une violence exponentielle.
Ses addictions l’entraînent dans des phobies qui peuvent aller jusqu’à le contraindre de ne plus boire l’eau du robinet, à cause des pollutions des usines ou autre raffineries aux alentours. Après tout l’Old Crowd ou le Jim Beam le désaltère tout aussi bien…

Ses sorties avec Junior entre le Colorado et le Mexique érodant les bars et leurs clients des plus louches, l’usent et pourtant, comme un guerrier vaillant, il retourne dans ces virées improbables. Toutefois la cocaïne associée au Percoet demeure nécessaire pour ôter les douleurs et braver l’inconcevable.

Chers lecteurs de CCBDL, vous ferez connaissance d’un autre type d’Amérique que l’on puisse vous proposer dans n’importe quel guide touristique.

Ici, on y rencontre des déjantés de haut vol, des gens sculptés dans le « peu fréquentable » marqués par la solitude, la peine et les excès. Vous adopterez peut-être au personnage doux-dingue de Brother Joe, une espèce de prêcheur radiophonique envoûtant ses auditeurs avec des théories douteuses – dont l’attribution des attentats du 11 sept 2001 et notamment que le bâtiment 7 du World Trade Center serait une démolition contrôlée par le gouvernement en place de l’époque - Ah ouais ! Quand même !
Le personnage et son portrait ravalé par la plume de Benjamin Whitmer vaut à lui seul le détour , même si c’est celui de Patterson qui emmène le livre. Cette façon de transporter et de fondre cet homme dans la violence physique est subjuguant On pourrait penser qu’il a hérité de la haine et de la violence innée de Junior, comme s’il avait été happé malgré lui dans cette ascension au Mal.
Leur association brave les interdits de Denver, du droit de fumer à celui de tuer. Wells était mieux dans sa cabane, seul à s’enfiler des canons contemplant la Mesa en compagnie de Sancho avec ses putains de souvenirs. Mais à priori son subconscient n’a vu aucune objection à rebrousser ce périlleux chemin.

Ce livre sombre n’est pas à mettre en toutes les mains. Certaines scènes peuvent être poignantes tout comme d’autres répulsives. Toutefois les mains et les yeux des amateurs de Littérature Noire, les passionnés, les vrais de vrai, les fans de Jim Thompson et Harrison, Harry Crews y verront certainement un roman puissant, obscur et brillant, comme une perle… noire.

La relève est assurée ! Merci Mister Whitmer ! *

Bonne lecture.

Bruno

* Pour en savoir plus sur l’auteur c’est ici : http://www.gallmeister.fr/auteurs/fiche/49/benjamin-whitmer

Extraits :

" Je suis resté un long moment comme ça, à regarder l'aube naître sur cette vieille souche pourrie à moitié réduite à néant par les sabots des cerfs. Le soleil a glissé sur elle comme on enfile une sortie de lit, lustrant ses vieilles ombres, revigorant ses articulations noueuses. Je buvais des gorgées au goulot de la bouteille et regardais sans rien faire d'autre. Derrière la souche, l'eau du lac luisait par langues ondulantes alternant noir d'encre et lumière neuve. Je continuais à téter au goulot. C'était un matin magnifique, et c'est humain que d'essayer d'améliorer la beauté quand on peut"

« Penser est une bonne chose, mais lire est une bonne protection contre l'excès de pensée. Boire, aussi. »

« -Tu te rappelles de l’hôpital ?
Il fait non de la tête.
-Tu as deux os fêlés, un muscle claqué, une foulure au poignet. Je ne savais même pas qu’on pouvait se fouler le poignet, mais c’est ce que tu as fait. Tu as aussi le nez cassé. Apparemment, tu as dû te faire ça en te prenant le plancher de ta cabane en pleine face à peu près juste avant ton deuxième pas dans l’entrée. Il a aussi été question des taux de cocaïne et d’alcool que tu avais dans l’organisme, tous deux suffisamment élevés pour être potentiellement mortels.
-De l’intérieur, ça paraissait bien pire, dit Patterson. »

Cry Father de Benjamin Whitmer

Partager cet article