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LE FLEUVE DES BRUMES de Valerio VARESI
Agullo Editions 12 Mai 2016
305 Pages

Dans une vallée brumeuse du nord de l'Italie, la pluie tombe sans relâche, gonflant le Pô qui menace de sortir de son lit. Alors que les habitants surveillent avec inquiétude la montée des eaux, une énorme barge libérée de ses amarres dérive vers l'aval avant de disparaître dans le brouillard. Quand elle s'échoue des heures plus tard, Tonna, son pilote aguerri, est introuvable. Au même moment, le commissaire Soneri est appelé à l'hôpital de Parme pour enquêter sur l'apparent suicide d'un homme.
Lorsqu'il découvre qu'il s'agit du frère du batelier disparu, et que tous deux ont servi ensemble dans la milice fasciste cinquante ans plus tôt, le détective est convaincu qu'il y a un lien entre leur passé trouble et les événements présents. Mais Soneri se heurte au silence de ceux qui gagnent leur vie le long du fleuve et n'ont pas enterré les vieilles rancoeurs. Les combats féroces entre chemises brunes et partisans à la fin de la guerre ont déchaîné des haines que le temps ne semble pas avoir apaisé, et tandis que les eaux baissent, la rivière commence à révéler ses secrets : de sombres histoires de brutalités, d'amères rivalités et de vengeances vieilles d'un demi-siècle...
Dans la lignée de Giorgio Scerbanenco ou du duo Fruttero et Lucentini, un polar impressionniste servi par une prose pleine de panache, qui nous plonge dans l'atmosphère humide et ténébreuse de l'Italie du Nord et de son histoire tourmentée.

Il est des livres qui percutent notre cortex, qui viennent augmenter notre capital des « coups de cœur » tellement l’effet pendant et après la lecture, est grand.

C’est un de ceux- là qu’il s’agit ci- après.

Au nord de l’Italie le Pô se fâche sous le joug des pluies torrentielles incessantes. Une barque dérive sur le fleuve en crue le long d’une vingtaine de kilomètres, crue incroyable par son rythme effréné dont seuls de vieux marins peuvent en avoir souvenance. La dernière en 1951* avancent certains…

Le plus étrange n’est sûrement pas ce phénomène météorologique mais plutôt comme cette embarcation a-t-elle bien pu parcourir un tel périple sans son pilote ? Tonna était plutôt un capitaine aguerri, depuis toutes ces années à faire ces rotations sur le fleuve…
Certes, le Pô garde en lui quelques secrets depuis son existence, mais celui-ci semble insolite. Surtout quand, quelques heures plus tard on constate que le frère du batelier est retrouvé défenestré après avoir chût du troisième étage du centre hospitalier de Parme.

Soneri est le commissaire de police dépêché sur place afin de tenter de mener à bien cette enquête, puisque l’hypothèse du suicide est vite écartée. Soneri, le flic à l’ancienne Alfa Roméo et à la sonnerie de portable insoutenable pour son entourage est aussi un type perspicace.
Et, c’est en creusant un peu plus le corps de son enquête avec l’aide difficile des habitants (pourtant taiseux) des villages aux alentours qu’il finira par obtenir des révélations surprenantes. Les frères Tonna étaient tous deux engagés dans la milice fasciste cinquante années en arrière. Chemises brunes, tableau noir !

Tandis que la brume continue son lent travail sur les rives du fleuve, Soneri s’apprête à découvrir de nouveaux secrets, et à faire remonter en surface de vieux souvenirs bien macabres. Ces disparitions seraient-elles le fruit d’une vengeance savamment préparée depuis longtemps ?
Le commissaire a du pain sur la planche, Angela sa compagne n’aura pas beaucoup de moments coquins à consacrer à son amant même si un « one shot » en péniche est bien tentant. La réalité à laquelle Soneri va être confronté est d’une toute autre partie… aux antipodes du plaisir ! L’enquête qui devient dans la presse locale « le mystère du Pô » rouvrira un pan de l’histoire dont certains se seraient bien passés.

Agullo Editions, toute jeune maison, réussit un coup de maître avec ce roman noir (mais pas seulement !) à l’écriture riche et audacieuse.

La géographie, l’histoire de cette plaine du Pô nous enivre tout au long de l’ouvrage. Le Pô et ses caprices, ses secrets sous-marins surgissent au fil d’une enquête passionnante qui emmène le lecteur dans le passé historique d’une région de l’Italie.
La plaine du Pô tiraillée entre les résistants et d’autres embrigadés dans les chemises brunes. Le fascisme et le communisme n’ayant jamais vraiment fait bon ménage, il faudra s’attendre au pire.
Enfin la nature, avec certain de ses éléments déchaînés, est largement représentée, faisant de ce polar, presqu’aussi un roman d’aventures.

Un polar fluvial me direz-vous ?

Non ce serait réducteur !

Mais en ce qui me concerne si j’entendais ou lisais quelque chose à propos du Pô et de sa vallée, je serais obligé désormais de l’associer à ce formidable bouquin.

Bon vent Agullo Noir ! ** On attends vos prochaines moutures, et si elles sont du même acabit il se pourrait bien qu’on entende parler de vous.

Bonne lecture.

Bruno

* l’auteur se sert d’un fait réel (crue exceptionnelle du Pô) c’est ici : http://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1952_num_40_3_1065
** Pour en savoir + : http://www.agullo-editions.com/#intro

Extraits :

« Soneri traversa le fleuve à Torricella, puis se trompa de chemin mais il finit par arriver à Gussola à l’heure de déjeuner. Passer d’une rive à l’autre ne changeait pas grand-chose. Mêmes maisons basses alignées, mêmes églises au baroque sanguin typique de la plaine du Pô. Juvara le détourna de la contemplation d’une sorte de cathédrale en briques couleur salami, sur lesquelles devrait s’être déposé un demi-siècle d’humidité. »

« Cette histoire du village sous l’eau t’a frappé ? »

Il avait parlé avec un tel calme que le commissaire se calma à son tour, tout en s’étonnant de son rapide changement d’humeur.

« Personne ne m’en a jamais parlé, répondit-il au moment où la pensée que peut-être tout s’explique se superposa au son de ces derniers mots.

- Sur les vieilles cartes topographiques de l’époque fascistes, il est encore indiqué. Il était au milieu du marécage, ajouta Nanetti, et les dignitaires fascistes refusèrent de faire assainir la zone parce qu’ils disaient qu’elle pullulait de « rouges » De Gasperi le fit ensuite »

Soneri se souvint de la passion de Nanetti pour la topographie et les vieilles cartes militaires ou du génie civil. Sa cave en était pleine et son épouse la définissait comme le plus bel élevage de vers rongeurs de la province.

« Et ce village était habité jusqu’au changement de lit du fleuve ?

- Tu m’en demandes trop, répondit Nanetti, mais je pense que oui, vu qu’il fut reconstruit flambant neuf dans l’intérieur des terres de la basse plaine. »

Soneri ne savait pas encore pourquoi, mais l’histoire l’interessait.

Le Fleuve des brumes de Valerio Varesi

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