"Ses doigts crispés sur mon bras, Mutti halète en scrutant les rues désertes, les papiers qui virevoltent dans la fumée noire, les silhouettes fugitives, les volets claqués à la hâte. Je sens le coeur de Mutti cogner contre ma joue, ses doigts refermés sur mon bras meurtrissent ma chair, mais ce n'est rien en comparaison des mots que ces hommes nous ont crachés à la figure : nous sommes deux sales boches, tout juste bonnes à crever."
Rosy et sa mère ont quitté Ludwigshafen en 1937 pour une vie meilleure en France, dans un petit village de Moselle. Or, personne n'a oublié l'annexion de 1871 et rares sont ceux qui leur tendent la main. Il est vrai que Mutti admire Hitler, méprise les curés, les Juifs et les fonctionnaires, et que Mein Kampf est son livre de chevet... Pour Rosy, dix ans, la vie n'est pas drôle tous les jours.
Quand, en 1940, Hitler s'empare de la Moselle, leurs conditions de vie s'améliorent. Pas pour longtemps. Entre novembre 1944 et mars 1945, alors que les Alliés pilonnent la région, Rosy et sa mère se terrent à la cave. Pour tenir, Rosy se raccroche à ses souvenirs, avec de maigres provisions et pour toute compagnie une petite poule et de drôles d'araignées aux pattes fines, que son oncle Edy, qu'elle aimait comme un père, surnommait les tic-tac.

Après "L'enfant-rien", Nathalie Hug signe ici son deuxième roman en solo.
Bien que le sujet principal de l'histoire soit de nouveau un enfant, le registre est bien différent du précédent.

Rosy, née allemande, vit désormais dans la famille de son père en Moselle. Sa Mère, allemande convaincue de sa supériorité, est fervente adepte d'Hitler.
La vie est donc difficile pour Rosy à l'école, et dans le village, il faut l'avouer, car bien des habitants sont restés amers suite à la précédente annexion de la région par l'Allemagne. Elle subit alors brimades et jeux de mauvais goûts de ses camarades de classe.
Son statut va changer quand la Moselle redevient allemande et que Rosy, de ce fait, devient la meilleure en classe.
Malgré tout, ce semblant de vie plus facile ne va pas durer longtemps puisque le village est bombardé et bien des maisons détruites... dont celle où vivent Rosy et sa mère, cloîtrées à la cave, prises au piège.

Le récit est écrit à la première personne puisque c'est Rosy qui parle. Je me suis alors imaginée, dans les premières pages, à un récit dans le style du fameux "Journal d'Anne Frank", et c'était une erreur de ma part.
En effet, ici, s'il s'agit d'une chronique racontée par une enfant pendant la seconde guerre mondiale, nous sommes en quelques sortes de "l'autre côté" puisque c'est une petite fille allemande qui parle. Mais, surtout, il ne s'agit pas d'un journal intime.

Le récit entremêle les évènements en direct racontés par Rosy mais également les souvenirs qu'elle se remémore afin de survivre lorsqu'elle prend conscience qu'elle est cloîtrée dans la cave et que la maison, au-dessus de sa tête, est complètement détruite.
Par ses mots, nous découvrons alors la vie d'une famille qui se déchire pour leurs idéaux (pas tout à fait les mêmes pour tous ses membres) mais aussi celle d'un village annexé et qui voit ses habitants s'adapter, ou pas d'ailleurs, à leur nouveau statut qui fait ressurgir bien des souvenirs.

Mais avant d'être un récit de la guerre, il s'agit surtout d'un huis-clos émouvant dans lequel nous suivons une petite fille qui lutte désespérément contre sa peur de ses fameuses Tic-Tac, mais aussi et surtout, qui lutte désespérément pour rester en vie.

L'écriture de Nathalie Hug est percutante et nous met de suite en empathie complète pour cette petite Rosy, dépassée par les évènements... Un très beau deuxième roman, tout aussi bouleversant et réussi que L'Enfant-rien... qui a même réussi à créer, chez moi, un certain sentiment de claustrophobie tout à fait perturbant.

La demoiselle des tic-tac de Nathalie Hug

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