JetaisDoraSuarez

J’ETAIS DORA SUEZ de Robin COOK
Editions Rivages ( 1er Avril 1990)
puis Rivages/Noir N° 11

« S'il est vrai que parfois j'entre en désespoir (et c'est vrai), c'est le défi du roman noir tel que je le vois. Je peuple mes livres de gens gaspillés qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent descendre la pente sans même une plainte. Mes livres sont pleins de gens qui, sachant qu'ils ont été abandonnés par la société, la quittent d'une façon si honteuse pour elle qu'elle ne fait jamais mention d'eux.
Et c'est pourquoi «J'étais Dora Suarez» n'est pas seulement un roman noir, et qu'il va encore plus loin, pour devenir un roman en deuil. » (Robin Cook) Pour Robin Cook, qui retrouve ici son personnage de «Les mois d'avril sont meurtriers», «J'étais Dora Suarez» est une étape décisive dans sa carrière d'auteur de romans noirs.

Tous les férus de polar n’ignorent pas qu’il existe deux homonymes chez les Cook, l’un faisant de l’ombre à l’autre à un tel point que dans les contrées anglo-saxonnes l’un des deux a publié sous un pseudo.*
C’est de celui-ci que nous allons visiter un de ses romans qui a été le tournant de sa carrière.

Un roman profondément noir qui laisse des traces après sa lecture…

A Londres dans le quartier de South Kensington, au 19 Empire Gate, deux cadavres sont retrouvés à l’ issue d’un acte odieux commis avec des violences incommensurables.

Deux femmes !

Une octogénaire (Betty Carstairs) défraichie par l’érosion du temps retrouvée encastrée dans une vieille horloge à balancier de famille et une trentenaire (Dora Suez) massacrée à la hache.

Soit le tueur a pris soin d’épargner son visage et sa brune chevelure, soit il n’a pas eu le temps d’aller plus loin devant la résistance de la jeune femme.
La scène est terrible, l’appartement ressemble à une scène de film d’horreur, a une exception près : Dans ce genre de films, il est rare que les protagonistes répandent leur sperme sur un corps démembré tout en ayant bu le sang de leurs victimes.

La folie court, mais où ?

Le décor est planté et c’est un officier de police limogé pour excès de zèle, ou plutôt incompatibilité d’humeur avec un de ses collègues dira t’on, qui est rappelé pour les besoins de cette enquête qui va faire du bruit dans la capitale londonienne.
La presse anglaise étant toujours friande de ce genre de faits il est grand temps de faire fissa. Entretemps Roetta, gérant d’un club douteux, cador de la mafia à Londres est retrouvé exécuté.

Y a t’il un lien entre ces trois meurtres ?

Notre mystérieux inspecteur de police**, y mettra son âme entière afin de tenter de retrouver le géniteur de cette barbarie. C’est finalement l’amour qui le poussera à aller au-delà de ses limites pour mener à bien son enquête… Un amour en deuil.

Ce très bon roman à la noirceur incomparable mérite ses lettres de noblesse auprès du gotha du Polar. Ce livre nous fait pénétrer à la fois dans la peau du tueur psychopathe et dans celle de l’officier de police qui, au fur et à mesure que l’enquête avance, dévoile ses sentiments grandissants pour la jeune victime.

A un point de s’immiscer en elle. C’est fou !

On pourrait penser que Cook est possédé lors de son écriture tellement la violence des faits, la folie, détaillées à souhait est présente.***

Dans un autre registre il n’oublie pas d’épingler les disfonctionnements et les immoralités du système en place dans cette Angleterre du moment. Ce qui en fait un polar parfait mais qui n’est pas à mettre entre toutes les mains, car il peut être très dérangeant. A bon entendeur, salut !

Robin Cook c’est quelqu’un ! Et ici chez CCBDL, on aime ça ! ****

Bonne lecture.

Bruno

* Raymond Derek est le pseudonyme. En France il publia sous son vrai nom. L’autre Cook est américain et s’est spécialisé dans les thrillers médicaux.
** Etrangement, il n’est nullement nommé tout au long du livre, ce qui lui vaut d’être mystérieux.
*** L’auteur , dans une interview avoue être lui-même entré dans la peau de ses personnages, le résultat lui créant un mal être.
**** La preuve en images ! C’est ici : https://vimeo.com/95744139

EXTRAITS :

« Son membre lui avait fait faux bond, comme un pneu crevé, la première fois qu’il l’avait mis à l’épreuve à l’âge de quinze ans, à cet instant redoutable, dans la vie d’un jeune homme, où, par son refus obstiné et catégorique de se dresser, une partie de son corps lui avait démontré qu’il n’était pas l’être supérieur que le reste de lui-même croyait être. »

« Je rêvai à des jours où mon esprit n’était pas si vieux – je rêvai de soleil radieux et de pluie couleur d’ardoise, de petits matins où je sortais de chez moi pour découvrir que ces choses-là n’étaient pas anciennes, mais toutes nouvelles, et que j’avais encore ma place parmi elles, au même titre que tous les gens que j’eusse jamais connus, ce qui signifie qu’on est citoyen véritable partout sur cette terre. »

« Interrompu par la vieille, venue voir ce qui se passait dans la pièce d'à côté, alors qu'il n'en avait pas encore terminé avec la fille, le tueur se rua sans un mot sur l'intruse, l'empoigna comme un paquet de linge sale, puis l'expédia à travers le panneau frontal de son horloge à balancier, située à l'entrée de l'appartement, avec, avec une violence dont lui-même ne se savait pas capable. Il vit tout de suite qu'il avait bien travaillé ; la vieille mourut sous le choc. Après le vacarme que provoqua son corps en brisant l'horloge - le fracas soudain du bois qui éclate, le bruit de linge mouillé d'un cerveau heurtant le fond d'un crâne - elle poussa un unique soupir, macabre réplique d'un sanglot ; et ce son qui franchit ses lèvres, tandis qu'elle mourrait, la tête dans l'horloge, éclipsa tous les autres bruits de la pièce. »

J'étais Dora Suarez de Robin Cook

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