illska

ILLSKA d’Eirikur Örn Norddahl
Éditions Métailié
20 août 2015
608 pages

Evénement dans l'histoire mondiale : Agnes et Omar se rencontrent par un dimanche matin glacial dans la queue des taxis au centreville de Reykjavik. Agnes rencontre aussi Arnor, un néonazi cultivé, pour sa thèse sur l'extrême droite contemporaine. Trois ans, un enfant et une crise de jalousie plus tard, Omar brûle entièrement leur maison et quitte le pays. L'histoire commence en réalité bien avant, au cours de l'été 1941, quand les Einsatzgruppen, aidés par la population locale, massacrent tous les Juifs de la petite ville lituanienne de Jurbarkas.

Deux arrière-grands-pères d'Agnes sont pris dans la tourmente - l'un d'eux tue l'autre - et, trois générations plus tard, Agnes est obsédée par le sujet. Illska parle de l'Holocauste et d'amour, d'Islande et de Lituanie, d'Agnes qui se perd en elle-même, d'Agnes qui ne sait pas qui est le père de son enfant, d'Agnes qui aime Omar qui aime Agnes qui aime Arnor. Dans un jeu vertigineux, Eiríkur Örn Norddahl interroge le fascisme et ses avatars contemporains avec une étonnante maîtrise de la narration.
Illska est un livre surprenant et immense écrit par un homme jeune, mais appelé à devenir un grand, sans doute un très grand écrivain.

En marge d’un salon du livre policier en bordure de plage normande, je rencontre une tablée de blogueurs intéressants où émane une conversation sur nos lectures en cours. Et là je dois dire qu’il y a eu diversion de genre, car ce livre (qui, du coup est devenu au fil du temps un conseil de lecture) n’est vraiment pas un polar mais un excellent et sulfureux livre d’un auteur islandais inconnu.

E.O.N introduit son roman sur les traces des arrières grands-parents d’Agnès, une des protagonistes du livre. Une piqûre de rappel relatant que la Seconde Guerre Mondiale a coûté 17 milliards de vies à la cause nazie. L’auteur y revient à travers ses tentatives de mise en perspective puisant dans l’histoire de l’Holocauste. Le Mal débute durant l’été 1941 en Lituanie dans un petit village (Jurbarkas) intégralement rasé de ses juifs et autres dégénérés par les SS secondés de la population locale. En contrepartie et avec un certain décalage chronologique il narre l’histoire, en Islande, d’un trio amoureux et compliqué dans les années 2010. Une femme, Agnès se partageant, en sorte, deux hommes, Omar et Arnor.

Agnès est une thésarde qui a choisit pour sujet de son mémoire, (sujet brûlant et d’actualité) la recherche sur le racisme populiste en Islande mise en perspective avec d’autres travaux sur les mouvements comparables dans le reste de l’Europe. Sa documentation est fournie, nécessitant une bibliothèque de six étagères ainsi que de multiples cartons regroupant articles de journaux, revues,bijoux, objets, insignes SS et Cds de groupes skinhead nazis. Sans s’en rende vraiment compte Agnès devient une véritable obsédée de l’Holocauste. Ce qui viendra en aparté à causer le rebut d’Omar, son mari, à propos de cette obsession. Leur relation bat de l’aile pendant qu’Arnor l’érudit étudiant en histoire, nazi de surcroît, gagne du terrain dans le cœur d’Agnès. Quand soudain Snorri l’enfant non désiré vient au monde. Snorri grandit, se développe. Snorri pense désormais. Agnès qui a passé bien du temps à refuser l’idée d’avoir un enfant fût contrainte d’accepter le nouveau né. Ce déni de grossesse a une explication : Ni d’Omar, ni d’Armor, Agnès ne su jamais vraiment qui fut le géniteur de Snorri le nourrisson. Agnès se perd. Omar ne s’y retrouve pas. Arnor survit. Des cœurs brûlent et se ravagent. Une maison s’enflamme aux noms de la vengeance et de la jalousie. Un étui pénien demeure. Ne vous méprenez pas chers lecteurs, avec Norddahl on est nullement au sein d’une romance classique.

Ce roman est fascinant même si sa construction est sidérante. Norddahl n’écrit pas de manière conventionnelle et le lecteur happé par ce texte profond et fouillé s’y retrouve aisément. A contrario ce n’est pas une lecture si facile que nous propose l’auteur islandais. Il arrive même que ce dernier nous interpelle pour ne pas lâcher prise et renforcer encore notre envie de poursuivre :

« Je vais vous parler en long et en large du Troisième Reich. Ne fermez pas le livre ! »

On y parle beaucoup d’Holocauste dans Illska, d’immigration et particulièrement des lituaniens (de manière transitoire entre le passé et le présent) *. Le thème de la montée du populisme dans les Pays du Nord de l’Europe est largement abordé. Il y a aussi Arnor ce jeune homme fort cultivé où coule du sang néonazi dans ses veines qui est un personnage ambigu. L’auteur met l’art et la manière pour rythmer la difficulté d’Agnès à se défaire du démon d’Arnor malgré ses racines juives qui remontent en surface maintes fois. Le Mal ! E.O.N puise dans le sombre passé de cette seconde Guerre Mondiale de Jurbarkas à Oradour sur Glane. On voyage beaucoup dans ce livre, certes, pas souvent le baume au cœur, de Toronto à Paris, de Berlin à Tallin, de Dresde à Reykjavik.

Le style décousu de la construction et l’alternance rébarbative des chapitres oblige au lecteur quelques gymnastiques. N’en déplaise ! Ce roman a pour lu d’être originalement ambitieux et l’auteur aborde des sujets difficiles qui peut éveiller la curiosité des jeunes générations sur l’Holocauste, la barbarie Nazie, l’enfer subit par les juifs d’Europe (et particulièrement là au nord de celle-ci), la montée contemporaine du fascisme dans les années 2010. ** Le tout sur un fond de trio amoureux luttant corps et âmes avec leurs sentiments.

Politique. Histoire. Amours.

Voici donc un livre*** surprenant et marquant qui pourrait poindre comme l’un des livres phares de la rentrée littéraire 2015.

A lire sans modération. Et merci à Cathy**** pour ce voyage en Islande pas comme les autres.

Bruno

Extraits :

« Et ça, alors ? Cette histoire sur la tendresse d’Hitler à l’égard des Islandais ne nous apprend évidemment rien sur l’intérêt véritable du Führer, elle n’est que la copie conforme de l’image que les Islandais ont d’eux-mêmes. Elle est le regard du grand Autre, qui voit son intérêt dans ce cri de guerre empreint de fierté. D’ailleurs, l’idée que le Führer ait envisagé d’ériger une petite colonie danoise de paysans pauvres au fin fond de l’Atlantique nord en exemple de la race aryenne est tout bonnement idiote. L’Islande avait évidemment une valeur stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale, mais les Islandais n’en avaient aucune. Le pays était un aéroport au milieu de l’Atlantique, et cela n’avait rien à voir avec la poésie de haut vol ou le courage – rien à voir avec la pureté du sang et les grands idéaux. »

« Toute opposition à l'expansion d’Israël en Palestine est considérée comme une poursuite de l'Holocauste (les Européens ne pouvant plus exprimer leur antisémitisme naturel, ils le déguisent sous des prétextes humanitaires, de la même manière que la droite la plus conservatrice devient féministe dans son discours sur l'Islam). »

« Elle voulait écrire sur les nazis en chair et en os. Des hommes et des femmes jeunes et énergiques, capables de façonner l’avenir. Elle voulait écrire sur l’extrême droite et les populistes dans les partis politiques. Certes, elle ne manquerait pas d’être confrontée aux problèmes de définition – rien ne disait qu’on lui permettrait d’estampiller comme nazis l’ensemble des racistes populistes. Elle entendait toutefois démontrer les parentés idéologiques. Même si les racistes empruntaient depuis quelques années des voies plus « convenables » pour atteindre leurs objectifs, les objectifs en question demeuraient inchangés et leur mise en application tout aussi délétère. Elle souhaitait prouver que les racistes islandais s’inscrivaient dans un univers culturel européen qui soutenait l’assassinat et la malfaisance même si on avait remis ces prérogatives aux mains des polices des frontières, des bureaucrates chargés de la gestion des réfugiés et des gouvernements extérieurs à l’Europe qui se voyaient forcés de commettre de graves crimes contre ceux de leurs ressortissants qui voulaient quitter leur patrie d’origine. »

* Les lituaniens sont le deuxième groupe d’immigrants en Islande. (Lire l’interview de Velda très instructive sur addict culture ci après http://addict-culture.com/eirikur-orn-norddahl-interview-illska/

** La partie historique telle que la montée du fascisme contemporaine est bien fouillée et témoigne d’une documentation et d’un savoir relativement riches.

*** L’auteur présente son livre sur cette vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=R72Dn8yBspw

**** Pour un autre avis allez voir la chronique de Cathy (Velda) http://addict-culture.com/eirikur-orn-norddahl-illska/

Ilsska, le mal d'Eirikur Orn Norddahl

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