Opium Poppy

OPIUM POPPY de Hubert Haddad
Editions ZULMA (18 Août 2011)
176 Pages
Edition de poche chez Folio N° 5516 (03 Janvier 2013)

Encore et encore, on lui demande comment il s’appelle. La première fois, des gens lui avaient psalmodié tous les prénoms commençant par la lettre A. Sans motif, ils s’étaient arrêtés sur Alam. Pour leur faire plaisir, il avait répété après eux les deux syllabes. C’était au tout début, à Paris. On venait de l’attraper sur un quai de gare, à la descente d’un train…Au fil de cette traque à l’enfant, se dessine l’histoire d’Alam.
Celle d’un petit paysan afghan, pris entre la guerre et le trafic d’opium, entre son désir d’apprendre et les intimidations de toute sorte, entre son admiration pour un frère tête brûlée et l’amour éperdu qu’il porte à une trop belle voisine… Ce surprenant roman à la précipitation dramatique haletante éclaire la folle tragédie des enfants soldats. « Qui aura le courage d’adopter le petit taliban ? » semble nous demander avec une causticité tendre l’auteur d’Opium Poppy. On sort infiniment dépaysé et à la fois bouleversé par ce roman de toutes les épreuves, dans la belle filiation de Palestine (Prix Renaudot Poche 2009, Prix des cinq continents de la Francophonie 2008) vendu à plus de 60 000 exemplaires.

Il est des livres qui sont courts, et, grâce à la concision et à l’excellente tenue du texte en font une œuvre qu’on ne peut oublier. Il est de ce livre là, je vais donc essayer de développer au mieux dans les lignes qui suivront afin de vous donner le goût et l’envie de le lire. ( PS :Comme a pu le faire une de mes amies ! ***)

C’est un récit alterné entre Paris et le Moyen Orient que nous propose l’auteur à travers le récit et le parcours d’Alam un jeune Afghan délaissé. Les migrants le savent, entre le tréfonds des squats de la banlieue Parisienne et les champs de pavots des plaines afghanes la route est longue et semée d’embûches diverses et fâcheuses. Les intégristes et leurs kalachnikov, les trafiquants d’Opium, les camps de réfugiés, l’underground des dealers serbo-croates parisiens, n’auront malheureusement, pas de secrets pour ce jeune homme d’une douzaine d’années devenu enfant soldat malgré lui. Alam l’Evanoui n’a connu qu’atrocités et barbaries depuis son plus jeune âge, Kaboul et Kandahar n’étant pas des terrains de jeux conventionnels. La seule icône de la beauté à ses yeux étant Malalaï, créature divine et contemplative qu’il admire lors de la conduite des chèvres et brebis sur les herbettes des pentes émanant des plateaux locaux. Son plaisir sera de courte durée, la beauté quittera à la fois sa splendeur et son village à la suite d’une mission vitriolée. Ces seuls instants de bonheur dans l’existence d’Alam deviendront futiles puis caduques remplacés par le quotidien teinté de violences et de haine. Le jeune essaie en vain de quitter cette poisseuse atmosphère qui ne le lâchera pas du début à la fin de l’ouvrage.

A la lecture des quelques lignes ci-dessus, je ne pense pas que cela, cher(e)s fidèles de notre blog, puisse vous donner l’envie de lire ce Opium Poppy*. Et pourtant c’est sans compter la finesse et la qualité d’écriture d’Hubert Haddad qu’il faudra vous faire changer d’avis. Il y a du lyrisme et de la poésie dans la prose de l’auteur qui sait, grâce à cela, réussit presque à minimiser le voyage chaotique et sans issue de cet enfant soldat dont on aurait préféré en tant que lecteur, que son émancipation soit tout autre. La réalité du terrain est également une autre affaire, Hubert Haddad nous le ramène à notre conscience de fort belle manière. Par son écriture et sa prose enivrante cet ouvrage ne peut laisser insensible, un tant soit peu, si on n’a pas une pierre à la place du cœur. La tragédie des enfants est souvent le résultat de la folie des hommes. A sa manière l’auteur** sait poétiquement, nous le rappeler. La tâche n’était pas aisée, tant le sujet (malheureusement toujours d’actualité) des migrants et des enfants martyrs est brûlant. Bravo à lui, l’entreprise est plutôt réussie.

Bonne lecture.

Bruno.

*Opium Poppy, fait référence au nom anglais du pavot servant à confectionner l'opium, plante dont la culture, indispensable à la survie des paysans miséreux des plateaux afghans, renforce leur exploitation par les chefs de guerre locaux convertis en narcotrafiquants ou rangés sous la bannière des insurgés talibans qui exigent leur part dans les tractations.

** Interview de l’auteur ici http://www.lepoint.fr/grands-entretiens/hubert-haddad-je-ne-suis-pas-un-ecrivain-maudit-28-04-2011-1324933_326.php

*** Pour jeter un œil sur le blog de l’amie en question et à propos d’un autre livre de l’auteur conseillé par elle-même, c’est ici http://annavalennmood.blogspot.fr/2015/10/palestine.html

Extraits :

« Dans ses veines, l'héroïne s'éploie, reine d'or qu'aucun royaume n'abrite. La délivrance ravale toute attente. Une joie vide, sans nom, taraude la mémoire. L'extase se substitue à l'ordure de vivre. »

« A la pointe nord du cimetière de Pantin, coincé entre la zone industrielle des Vignes et l’éventail des voies ferrées qui s’éploie à perte de vue jusqu’à la gare de triage de Noisy-le-Sec, un secteur sans anatomie définie ni existence probante, plus hypnotique qu’une errance dans les périphéries mal famées du cauchemar, recèle au comble de l’égarement un de ces dédales au cordeau dont on ne s’échappe que par distraction, du côté de l’avenue de la Déviation ou du Chemin Latéral »

« Pour l’heure, son fusil-mitrailleur sur l’épaule, l’Évanoui marchait à vingt pas, gracile figure de djinn entre deux colosses claudicants. Depuis le milieu de la nuit, il escaladait les abrupts et dévalait les ravines sans jamais se plaindre. Silencieux, il avançait à la suite de la colonne, prêt aux pires éventualités. Personne n’aurait pu imaginer, et Muhib moins qu’un autre, la stupeur qui l’habitait en toute circonstance. […] La mémoire d’un enfant flambe jusqu’en l’oubli. Il n’éprouvait aucune frayeur. Mais on le décapitait dans ses rêves. Des inconnus souriants lui arrachaient les yeux. »

Opium Poppy d'Hubert Haddad

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