Ian-Manook-Yeruldelgger-Albin-Michel

YERULDELGGER de Ian Manook
Editions Albin Michel (2013)
puis Le Livre de Poche (Janv. 2015)
648 pages

Rude journée pour le commissaire Yeruldelgger Khaltar Guichyguinnkhen. A l'aube, il apprend que trois Chinois ont été découpés au cutter dans une usine près d'Oulan-Bator. Quelques heures plus tard, dans la steppe, il déterre le cadavre d'une fillette aux boucles blondes agrippée à son tricycle rose.
Il y avait la Suède de Mankell, l'Islande d'Indridason, l'Ecosse de Rankin, il y a désormais la Mongolie de Manook ! Une maîtrise époustouflante pour le polar le plus primé et le plus dépaysant de tous les temps.

Avec la littérature on apprend sans cesse. Même la géographie !
Honte à moi d’avoir ignoré durant plusieurs décennies Oulan Bator, ville de plus d’un million d’habitants et capitale de la Mongolie.

Comme repentance je vous propose cher lecteur de CCBDL, de partager ce livre épatant. Un polar remarquablement bien construit par son auteur, auréolé de récompenses et qui devient par le fait un best-seller.
Ian Manook peut s’en féliciter car ce touche-à-tout est arrivé sur le tard et, comme un cheveu dans la soupe, au sein du milieu des polardeux.
Je vous rassure l’homme de part sa personnalité et sa sympathie s’est bien intégré.

Bien ! Passons les détails et filons en terres mongoles.

Le commissaire Yeruldelgger Khaltar Guichyguinnkhen officie à Oulan Bator tant bien que mal après le décès de sa jeune fille enquillant le départ de son épouse qui sombre dans une folie inébranlable. Il y a des moments comme cela parfois dans la vie, des situations qui dérivent et qui s’enchaînent inexorablement.

Comme cette journée !

Dès l’aube, le commissaire apprend le meurtre de trois chinois dans une usine, tailladés au cutter avec comme cerise sur le gâteau, des émasculations. Imaginez un peu le tableau !
Quelques heures plus tard, il déterre une fillette aux boucles blondes accompagnée de son tricycle rose dans la steppe locale. Y a pas mieux pour faire des cauchemars et notamment réveiller celui du meurtre de sa fille Kushi jamais élucidé.
Mais malgré son âme torturée, Yeruldelgger s’est forgé un caractère à toutes épreuves et décide de se mettre en quatre pour retrouver les coupables de ces affaires conjointes.
Une troisième viendra rapidement se greffer aux deux autres avec la découverte de prostituées pendues dans un conteneur servant d’échoppe sur un des marchés de la capitale mongole avec pour garniture en bouche, les sexes des chinois de l’usine. Les filles de joie portent décidément mal leur nom ces temps-ci !

Yeruldelgger est un type forgé dans le roc au caractère bien trempé. Sa stature est imposante, la peur ne le connaît pas et ses sentiments demeurent au royaume des oublis. Il peut être aussi violent.
Même avec tous ses facteurs, cela devient trop lourd à régler seul malgré les larges épaules du commissaire. Il en découdra donc une aide notoire de trois personnages particulièrement attachants et utiles dans le déroulement des enquêtes. L’aide se définit comme suit : Solongo est médecin légiste avec un penchant amoureux certain pour Yeruldelgger. Oyun est jeune, belle et débrouillarde, c’est l’adjointe du commissaire, et en pince aussi pour lui. Gantulga est un jeune garçon des rues combinard ô possible. Lui en pincerait plus pour Oyun !

L’enquête peut commencer…

Ce pavé poche de près de 700 pages se lit vraiment vite tellement l’action, l’histoire et les rebondissements sont haletants. Ian Manook réussit là un formidable roman en nous faisant découvrir les steppes, les yourtes, les us et coutume et autres traditions mongoles tout en n’omettant pas de brosser un portrait d’arrière plan moins réjouissant avec les bas fonds d’Oulan Bator, ses nazillons, sa misère, ses caïds proches du pouvoir des voisins chinois et russes. Les flics ripoux ne sont pas en reste et causeront bien du fil à retordre à Yeruldelgger.
Le rythme est mené tambour battant, sans temps morts pour le lecteur. Les personnages sont extras, l’histoire se tient bien et le roman noir tourne parfois au conte avec un côté mystique prononcé. Tous les ingrédients sont donc présents pour en faire le best-seller qu’est devenu ce livre, premier d’une série qui a le mérite de se poursuivre.*

Sous son aspect "polar bien emmené" avec des scènes violentes et d’autres plus fantastiques, l’auteur a su toutefois glisser subrepticement le caractère géopolitique d’une Mongolie économiquement fragile coincée entre une Chine puissante et une Russie rigoureuse.
Une Mongolie où l’on est prêt à faire des sacrifices en vies humaines pour le pouvoir et l’argent.

Bien joué Ian Manook !**

Bonne lecture

Bruno

* A l’heure où j’écris ces lignes le second volet est sorti dès février 2015. chez Albin Michel voir lien ci après et interview = https://www.youtube.com/watch?v=mMvLBgtjoaU
** Pour en savoir plus sur l’auteur = http://www.toulouse-polars-du-sud.com/ian-manook/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian

Extraits :

« Il s’était assis sur le sol en bois de la grande yourte, contre le lit sous la carte des éléments du monde, jambes allongées en prenant bien soin de ne pas pointer les pieds vers le fourneau central pour ne pas offenser les esprits de tous ceux qui avaient vécu là avant lui, et il avait souri. Il avait souri au bonheur du refuge dans la tourmente, au parfum de vie qui l’habitait dans ces jours de mort, aux liens indestructibles qui désormais le liaient à Solongo, à Oyun, à Gantulga, au Nerguii, aux novices, et peut-être même à Saraa. »

« Et pourquoi vivre au pays des âmes la même vie qu’ici-bas ? Yeruldelgger avait souvent posé la question au Nerguii.
« Pourquoi chercher à le savoir ? Tu le verras quand tu y seras. Ce n’est pas l’espoir d’une autre vie qui doit te faire vivre la tienne ici-bas. C’est l’espoir de cette vie-là que tu dois transformer en promesse de la même vie ailleurs... »

« Il n’avait pas touché un arc depuis longtemps, mais après son récent séjour au monastère, il savait la puissance et la précision de son tir encore intactes au fond de lui. C’est ce que lui avait réappris le Nerguii : « Tout, toujours, reste en nous, c’est nous qui oublions. » Il observa une dernière fois la scène depuis le haut de la colline. Un naadam de campagne comme il en avait tant fréquenté dans sa jeunesse. Chaque Mongol portait en lui un inoubliable souvenir de naadam : une première cuite, un premier baiser, un premier amour, une première bagarre, une première blessure, une rupture, une infinie solitude dans la foule… Nul doute que ce naadam là allait aussi marquer la vie de Yeruldelgger. »

Yeruldelgger de Ian Manook

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