Le contrat Salinger d'Adam Langer

18 août 2015

Le contrat Salinger d'Adam Langer

lecontratsalinger

LE CONTRAT SALINGER d’Adam LANGER
Editions SUPER 8 Editions
20 Août 2015
312 pages

Signez, vous ne risquez rien, ou presque… Journaliste désabusé, Adam Langer retrouve un jour une vieille connaissance : Conner Joyce, auteur de thrillers en perte de vitesse en pleine promotion de son dernier roman.Ce dernier lui confie avoir reçu une offre ahurissante : un homme d'affaires richissime, lui a proposé d'écrire un roman rien que pour lui moyennant une somme colossale.Seule particularité, le contrat s'assortit de certaines clauses assez particulières
1/ le livre rejoindra la collection privée d'exemplaires uniques de l'homme d'affaire, pour lequel ont déjà travaillé des écrivains aussi prestigieux que Thomas Pynchon, Norman Mailer ou J. D.
Salinger… et n'en sortira jamais
2/ Le propriétaire se réserve le droit d'exiger de l'auteur quelques modifications de son cru.
3/ l'accord doit rester absolument secret.
Bientôt, et tandis qu'un Conner visiblement aux abois s'obstine à tout raconter à son ami – lequel se passerait bien de ces révélations –, l'histoire prend une tournure des plus inquiétantes : l'offre n'a évidemment rien de philanthropique, et le contrat désormais signé aura des conséquences imprévues.

Quand mon feu paternel apprenait une sale nouvelle à propos de gens de son entourage, il avait une expression bien à lui qui me revient parfois. C’était : « Il aurait mieux fait de se casser une jambe ce jour là », et qui signifiait bien sûr que le niveau de gravité était supérieur à celui énoncé.
En quelque sorte, le personnage central de ce livre, un certain Conner, aurait fait mieux, le jour de sa rencontre avec Dex Dunford, de se briser les deux. Au moins il aurait évité un tas de situations improbables.

Quoique !

Allez ! Je vous emmène entre Bloomington et Chicago faire un voyage au sein de la Littérature Noire.

Adam Langer, journaliste blasé, et Joyce Conner, écrivain de thrillers redondants sont de vieux copains et se retrouvent fortuitement lors d’une lecture dans une ville américaine universitaire endormie. Bloomington. La librairie en déchéance qui accueille l’auteur compte un faible auditoire et les ventes de Conner sont en chute libre. Les dédicaces seront obsolètes
Jusqu’ici la situation est peu avenante. Tout va subitement basculer autrement. Paradoxalement, les deux hommes vont renouer assez promptement le soir même, puis le lendemain. Effectivement Joyce lui téléphone afin de le convoquer secrètement à l’hôtel Hilton de West Lafayette. Son ami s’y plie et deviendra malgré lui le possesseur d’une confidence des plus extraordinaires.

Le point d’orgue de l’histoire de Conner Joyce est également une séance de dédicaces demandée par un colosse à l’accent soviétique pour un dénommé Dex. S’ensuivra une main tendue accompagnée d’une enveloppe renfermant un billet d’avion United Airlines réservé à son nom et d’une carte de visite. Dex Dunford souhaite le rencontrer ce jour même. En cas de déclin le mystérieux personnage lui stipule sa propre adresse (pourtant transitoire) afin de venir à lui. Comment pouvait-il savoir ? Etrange ! Conner veut fuir et sortir de cette sordide situation respirant à plein nez un quelconque piège.

Sous le regard de Pavel, le colosse, il n’est pas vraiment aisé pour lui de se substituer et va donc à l’encontre de cet étrange personnage qui se révèle être un fan de son travail. Connaissant son œuvre sur le bout des doigts, Conner pense aussitôt que l’individu est du milieu puis se ravise.

Editeur ou fan détraqué ?

Juste collectionneur. Mais pas n’importe lequel. Un collectionneur milliardaire et assez fou pour commander à des écrivains des œuvres uniques. L’homme d’affaires, de petite taille, au caractère endurci possèdent des manuscrits uniques des plus fines gâchettes de la littérature contemporaine. J.D Salinger, Thomas Pynchon, Jaroslaw Dudek, Norman Mailer. Tous sont passés par là, dans cette somptueuse demeure à la bibliothèque avec vue offerte sur un espace marin, qui ferait rougir les magnifiques et les plus fournies du Monde.
Tous ont signé de juteux contrats sous des conditions bien particulières, parfois inquiétantes tellement l’imagination de ce lecteur unique, est fertile. Effectivement Dunford se réserve le droit de faire modifier à sa guise la tournure des événements de ce manuscrit. Autre bémol : ce dernier doit rester secret et ne peut être lu que par trois personnes : l’auteur, Dunford et Pavel, l’étrange et colossal protecteur du milliardaire.

La proposition est alléchante pour cet écrivain en perte de vitesse. Comment résister à une avance de 10000 dollars avant de recevoir plusieurs millions à réception du manuscrit ? Qui serait assez fou pour ne pas honorer un tel contrat ? Pourquoi ces écrivains dont certains des plus taiseux qu’ils soient, qui n’ont rien publié depuis fort longtemps, J.D Salinger en tête de gondole, ont signé eux même au préalable ?

Avec ce contrat, Conner Joyce s’imbrique totalement dans une spirale infernale embarquant avec lui son confident et ami.

Il serait évidemment peu judicieux de dévoiler ce que cache ce fameux contrat tellement il est passionnant de lire ce polar pas comme les autres.

D’une part le narrateur n’est autre que l’auteur lui-même. Adam Langer s’immisce dans le rôle du confident puis dans un autre qu’il vous sera difficile d’imaginer. L’imagination ! C’est justement la force de Langer qui va jouer avec les codes du polar, mais surtout en incluant les faits et gestes, les croustillantes révélations d’auteurs de grand renom avec une facilité déconcertante. L’intelligente construction du texte, les nombreux rebondissements, la fébrile barrière entre fiction et réalité font que ce roman est un délice de lecture. Les références littéraires, notamment du polar contemporain foisonnent. Les amateurs du genre seront comblés. Adam Langer sait nous prouver qu’on peut construire un thriller psychologique sans forcément y adjoindre des litres d’hémoglobine. Langer serait-il le nouveau Dumas ?

Il est difficile de dire si ce livre fera le buzz dans la macro bulle des lecteurs de polars, mais de mon point de vue il le mériterait et ce sera assurément un des romans policiers les plus qualitatifs et surprenants de cette rentrée littéraire 2015.

Après Crocs de P. K. Dewdney, dans un registre différent, voici mon second coup de cœur de l’année. En espérant que ces quelques lignes ci-dessus vous donneront envie d’acheter et de lire ce petit bijou en l’appréciant à sa juste valeur.

Bonne lecture.

Bruno.