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28 novembre 2014

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka

certaines



CERTAINES N'AVAIENT JAMAIS VU LA MER
Julie OTSUKA
Collection 10/18
142 pages
Année 2012


Ces Japonaises ont tout abandonné au début du XXe siècle pour épouser aux Etats-Unis, sur la foi d'un portrait, un inconnu. Celui dont elles ont tant rêvé, qui va tant les décevoir. Choeur vibrant, leurs voix s'élèvent pour raconter l'exil : la nuit de noces, les journées aux champs, la langue revêche, l'humiliation, les joies aussi. Puis le silence de la guerre. Et l'oubli.




Sur un réseau social hyper connu, j'ai une poignée d'amis virtuels qui s'intéressent à la littérature. Dans plusieurs post j'avais remarqué que le nom de ce roman et de son auteure revenait assez souvent. Pris de courage je demandais à l'un d'entre eux - d'ailleurs chroniqueur émérite de romans policiers et cumulant une double casquette en chroniquant aussi des romans tournés vers l'Asie - ce qu'il pensait de ce roman. Son avis fût le bon, je vous le confirme. - merci Ivan -

Ce petit roman écrit à la première personne du pluriel - comme pour mieux nous imprégner du ressenti - raconte l'histoire, que dis-je, l'odyssée de jeunes japonaises envoyées aux Etats Unis (principalement en Floride et San Francisco) pour retrouver leur moitié. Ces moitiés sont en fait les fruits de marieuses s'occupant d'unions frauduleusement arrangées, avec pour combines l'envoi de photos vieilles de vingt ans accompagnées de lettres mensongères. Ces moitiés sont toujours japonais de souche, souvent violents, très souvent profiteurs.

Le voyage qui les conduit vers leurs futurs époux gâche un peu leur partie de rêve qu’elles s’étaient autorisées. Entassées dans le bas fond des paquebots et considérées comme du vulgaire bétail, après ce long et éreintant périple les jeunes filles arriveront au sol en s'éloignant encore plus de leur idéal. Elles seront disséminées puis employées, exploitées, forcées et malheureusement rarement aimées. Les déceptions seront grandes. L'exil creuse en profondeur et le rêve devient souvent cauchemar. Les jeunes femmes s'abrutissent à la tâche et aux durs labeurs.

J'ai apprécié ce court roman qui nous parle à la fois du mal du pays, de la dureté des tâches à accomplir, de l'avilissement de ces jeunes épouses soumises qui parfois tourne quasiment à l'esclavage. Ces femmes sont souvent exposées aux caprices spectaculaires de leurs époux. Enfin la seconde partie du livre évoque le sort de ces mêmes immigrés durant la guerre qui a opposé les japonais aux américains (le Japon entre en guerre contre les USA en 1941). Ces derniers se retrouvent internés dans des camps. On peut comprendre aisément qu'il s'agit d'un second coup de massue sur la tête... Un second exode que met en lumière avec brio Julie Otsuka.

A noter que ce roman a rencontré un vif succès à sa sortie (rentrée littéraire 2012) et a remporté le prix Fémina.

Bonne lecture de ce destin de femmes poignant, de cette tromperie dois-je ajouter...

Bruno

EXTRAITS :

1*

"Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté - hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. Parfois l'océan nous avait pris un frère, un père, ou un fiancé, parfois une personne que nous aimions s'était jetée à l'eau par un triste matin pour nager vers le large, et il était temps pour nous, à présent, de partir à notre tour.

Sur le bateau, la première chose que nous avons faite - avant de décider qui nous aimerions et qui nous n'aimerions pas, avant de nous dire les unes aux autres de quelle île nous venions et pourquoi nous la quittions, avant même de prendre la peine de faire les présentations -, c'est comparer les portraits de nos fiancés. C'étaient de beaux jeunes gens aux yeux sombres, à la chevelure touffue, à la peau lisse et sans défaut. Au menton affirmé. Au nez haut et droit. A la posture impeccable. Ils ressemblaient à nos frères, à nos pères restés là-bas, mais en mieux habillés, avec leurs redingotes grises et leurs élégants costumes trois-pièces à l'occidentale. Certains d'entre eux étaient photographiés sur le trottoir, devant une maison en bois au toit pointu, à la pelouse impeccable, enclose derrière une barrière de piquets blancs, d'autres dans l'allée du garage, appuyés contre une Ford T. Certains avaient posé dans un studio sur une chaise au dossier haut, les mains croisées avec soin, regard braqué sur l'objectif, comme s'ils étaient prêts à conquérir le monde. Tous avaient promis de nous attendre à San Francisco, à notre arrivée au port.

Sur le bateau, nous nous interrogions souvent : nous plairaient-ils ? Les aimerions-nous ? Les reconnaîtrions- nous d'après leur portrait quand nous les verrions sur le quai ?"

2*

" Nous possédions toutes les vertus des chinois travailleurs, patients, d'une indéfectible politesse, mais sans leurs vives, nous revenions moins chers à nourrir que les migrants d'Oklahoma et d'Arkansas, qu'ils soient ou non de couleur. Nous étions la meilleure race de travailleurs qu’ils n’aient jamais employée au cours de leur vie. "

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Commentaires
A
J'avais beaucoup aimé ce roman à la forme si particulière.
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T
Il va vraiment falloir que je le lise.
Répondre
S
Il a l'air sympa, je pense que je vais le lire...
Répondre
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